Le début de la nouvelle

Maman, j’ai cru que j’allais mourir.
Ils avaient des fusils.
Ils nous frappaient à chaque moment avec des bois.
Ils nous attendaient de l’autre côté du fleuve.
Ils nous ont tout volé : notre argent, nos vestes, nos téléphones, nos chaussures même.
Maman, j’ai cru qu’ils allaient me tuer.
J’ai pu m’enfuir.
Mais les autres sont restés dans la forêt.

La voix de l’homme tremble au bout du fil.
J’entends un oisillon détrempé qui aurait échappé aux griffes d’un animal sauvage, suspendu à une branche, plein de peur. Fragile. Au plus profond de sa vulnérabilité. Assailli par des démons qu’il était parvenu à faire taire.
La malle aux souvenirs enfouis s’ouvre grande. Une histoire écorchée. Il revoit l’adolescent terré dans un coin de la case, terrifié à l’idée d’accuser une fois de plus les coups du père, de la mère, de l’homme à qui appartient la ceinture. L’enfant violé, c’est lui. Il git sur le sol. Il pleure en silence, alors que les autres trinquent d’un vin mauvais, s’étouffent de rires gras et rajustent leur pantalon.
Parmi les images en cohorte, il y a ce garçon croisé sur la route, retrouvé plus tard dans un sommeil éternel, lové au pied d’un arbre, recouvert d’écorces et de feuilles dans l’espoir ultime de se réchauffer un peu. La nuit assassine venait d’éteindre le souffle d’un sans-nom. Sans-vie, sans-faim, sans-soif, un sans-peur désormais.