Le début de la nouvelle

À ma grande surprise, elle me demande de sortir, de quitter l’appartement loué pour nous retrouver au milieu de ma ville, étrange et sensuelle. J’imaginais notre première soirée en bord de mer très différemment. Depuis le balcon, les bruits du quartier m’arrivent. J’attends la nuit dans l’espoir de nos corps joints. La porte blindée se ferme en faisant un bruit de grosse cloche. Depuis que ma belle m’a demandé de manger de l’espadon, je suis aux abois. Où trouver du poisson frais ? Sur le palier, au cinquième étage de cet immeuble de la période napoléonienne, nous attendons un vieil ascenseur intégralement vitré. La faim la rend électrique, vive et survoltée. Elle surmonte son vertige pour accélérer la descente. À l’heure de manger ma dame accepte les raccourcis. Ça m’arrange, car l’escalier est un casse-pattes. Je glisse la pièce dans l’appareil pour payer notre trajet. Quand l’ascenseur s’ébroue, elle lâche un petit cri érotique et s’accroche à moi. Je n’ai d’yeux que pour elle.

Nous gagnons la rue, seuls parmi la foule de cette ville très peuplée. Notre destination m’est inconnue. L’achat de tickets de transports publics m’oblige à engager la conversation avec d’aimables vieux. Me voilà contraint, l’espace d’un sourire et d’une blague, de me concentrer sur autre chose que cette femme rare. Nous traversons une route embouteillée et bruyante pour rejoindre la vieille gare du funiculaire. Klaxons et rires, musique techno et mères qui crient à la fenêtre ne me font pas dévier de mon objectif. En temps normal, je laisserais cette musique me transporter.

Une fois installés dans le wagon, l’attente est courte. Si la crémaillère de fabrication suisse cédait, nous nous retrouverions en Afrique. La pente est vertigineuse. Les journaux de l’époque se gaussaient de voir arriver un train aux portes penchées. Tant qu’il n’était pas installé dans la pente, impossible d’imaginer que les accès étaient droits. Debout, je fais semblant de compenser l’inclinaison. Immobile, j’imite monsieur Hulot. À chaque freinage, elle s’appuie contre moi. Elle est si belle qu’elle éclipse tout. Je l’observe et m’imprègne d’elle en oubliant la ville en arrière-plan. Dans les passages souterrains, la lumière artificielle me fait regretter ce départ précipité, la douceur d’un appartement loué, l’espoir de draps de lit.