Le début de la nouvelle

« Nous sommes les mouettes. Et les passeurs, les goélands. Petit, tout le monde se ressemble. Nous on rêve d’ailleurs, eux veulent manger, manger toujours plus, jamais rassasiés. Nous on fait confiance à leurs yeux perçants et jaunes, on laisse leur bec d’or s’ouvrir et faire des promesses qui ne passeront pas la première marée. Nous, les mouettes, on les suit. Comme on est plus petits, on se laisse embarquer. Comme ils regardent devant, on se laisse flotter. Ils nous prennent sous leurs ailes, les goélands. Et puis un jour, nous on oublie qu’ils ont toujours faim car on voit déjà la rive, on sent déjà le pain, on a l’eau douce dans le bec. On oublie qu’ils ont toujours faim, les goélands. Alors ils avalent tout rond une petite mouette. Tout rond. Elle passe au fond de leur estomac. Quand ils ont mangé, ils s’envolent. Ils n’emmènent personne d’autre avec eux. Ils sont déjà loin, ils ne regardent pas en arrière, ils n’entendent pas nos cris, car l’eau salée est déjà un lointain souvenir. Ils retrouvent l’autre côté, d’où ils sont partis, ils aperçoivent déjà d’autres mouettes qui les attendent, des papiers dans le bec. Quand ils se posent, elles vont vers eux, les passeurs, ils allongent leur cou, font briller leurs yeux, montrent la mer calme, pointent le soleil généreux, alors les mouettes sortent encore plus de papiers. Les goélands ouvrent leur bec d’or, étirent leurs longues ailes, et tout le monde est impressionné, on voudrait caresser leurs plumes, car elles doivent protéger des dangers. »